Tu avais tant fait pour ne pas accéder à ce point de rupture, continuant tes rituels, t’éloignant de diverses situations qui potentiellement pourraient accélérer ta chute. Tu avais eu du temps Ivy. Plus, bien plus que ce que tu aurais pensé. Tu t’étais vue mourir n’atteignant nullement ta majorité, sous des coups ou un trop plein d’héroïne. Tu aurais tant voulu que la Mort cède à ton appel, mais au lieu de cela, Mikkel était venu t’extirper de ton existence misérable te donnant une deuxième chance. Mikkel… Romy… Les deux piliers solides de ton existence, seuls vestiges de votre famille brisée, mais pourtant si forte. Tu regrettais son absence, lui et ses mots, sa présence qui arrivait à apaiser les angoisses de ton esprit. Tu le sentais ce sentiment de sécurité entourant tes épaules, laissant tes défenses se reposer. Tu sens tes nerfs à vifs, tes muscles tendus à l’extrême. « Question très intéressante, ma chère Ivy ! » Ton prénom roule sur sa langue d’une façon désagréable, écorchante. Tu le perçois que ta question l’enchante. « Je m’appelle Seheiah. Enchantée d’enfin faire ta rencontre. Du moins de manière officielle. » Seheiah ? Niveau délire mystique on n’était pas trop mal. Tu penches la tête légèrement, tentant de comprendre. Tu observes sa légère courbette qui ne te fait nullement sourire. Faire ta rencontre officiellement ? Tu nages dans un bain brumeux sans possibilité d’entrevoir la moindre lumière. La folie était ainsi faite que tu ne puisses en saisir les contours de la tienne ? « Parce que moi, je te connais déjà. Depuis quoi... vingt ans environ ? » Tu t’impatientes Ivy, ces demi-mots, demi-révélations, jouant de ton état d’anxiété. Tu voudrais pouvoir faire une avance rapide et arriver au moment où tout t’apparaitras bien plus clair. Vingt ans ? Soit le moment où tu étais entrée dans la famille Campbell ? Son attitude t’agace, tu resserres ta prise sur le ciseau laissant filer le liquide rougeâtre. « Si tu veux tout savoir, je suis une espèce d’alter-égo de ton amoureux. En bien plus séduisante, toutefois, tu en conviendras. » Pardon ?! Tes yeux s’écarquillent de stupeur, ne t’attendant nullement à cette révélation. Tes doigts laissent filer le ciseau qui vient miraculeusement se planter au sol sans toucher ton pied nu. Tu devais être embourbée sous une épaisse masse de délirium pour arriver à t’imaginer tout cela… Mais l’imagines-tu ? « Seheiah... » Cette voix, sa voix. Teintée d’épuisement, mais ce timbre suffit à te faire frissonner. Tu le vois. Non la vois, fermer les yeux, tournant quelque peu la tête, comme pour chasser une idée indésirable. « Reste tranquille, Gadrel. » « C’est du délire… » Souffles-tu entre tes lèvres. Mais était-ce impossible ? Tu étais la mieux placée pour savoir à quel point l’esprit pouvait être fourbe et vil, mais que certaines fois il ne le faisait qu’avec cette vocation de protection.

Tu es partagée Ivy, tu ne saurais dire si tu y crois ou non. Tout te parait… Logique ? Disons que cela te donne une explication presque rationnelle, de ce que tu ressentais à son égard depuis le début de votre entrevue. Mais cette explication n’était-elle pas trop convenante ? Le principe même du délire est qu’il attrape les éléments qu’on lui donne pour les inclure. Les modifiants, les tournants, afin que cette bouffée délirante reste intacte, que cette bulle n’explose point. « Le pauvre est exténué. Je lui ai suggéré de se reposer un peu et de me laisser m’occuper de ce foutoir monumental avant qu’il ne finisse vraiment par perdre l’esprit. Car, vois-tu, je ne tiens pas à disparaître. Il faut donc qu’il se ménage un peu, le pauvre homme. » Étrange. L’entendre parler ainsi de lui comme s’il n’était pas là. Tu entends ce qu’il te dit, mais ton être à du mal à faire l’association. Les mots sortent de sa bouche. Sa bouche à lui. Tes yeux se posent dans les siens, ne ressentant aucunement sa chaleur habituelle, tu te contenterais même de son agacement. Tu oscilles Ivy, y croire ? Ne pas y croire ? Tu ne fais nullement confiance à ton esprit qui pourtant te soutient qu’il n’y ait pour rien. Pour une fois. Peut-être que le coup reçu à la tête lors de ta rencontre avec le mur avait eu plus d’impact que tu ne pouvais le croire. Tu ne sais ce que tu espèrerais. Tu voudrais dire quelque chose, mais aucune phrase cohérente n’arrive à se formuler. Tu les entends tourner ces questions, ces interrogations, ces doutes, dans un tourbillon infernal. « Cela dit, je constate que tu t’y connais quelque peu en folie, n’est-ce pas ? » Tu n’aimes pas ce début de phrase Ivy, elle vient lécher ta réflexion comme si ton interlocutrice en saisissait les tourments. « D’après toi, Ivy... est-ce que tout ceci est réel ou ce n’est qu’une illusion ? Si ça se trouve, tu t’es repris une balle dehors et ton esprit malade lutte contre la mort en s’inventant un futur qui n’existe pas. » La pétasse ! Elle venait de mettre le doigt exactement sur le bouton de l’interrupteur. Elle se permettait de jouer avec les supplices de ta psyché. Tu te baisses ramassant le ciseau planté avant de lui jeter dans sa direction. Il vint se planter sur le mur derrière, ne soulageant nullement ton âme. « Mmmh… Notre Adonis préféré s’agite... Je crois qu’il n’apprécie pas tellement notre charmante conversation, je le crains. » Tu serres la mâchoire avant d’esquisser un sourire sans joie. « Je me demande bien pourquoi tu es si agréable… Seheiah… » Tu prononces son nom comme pour le rendre plus réel.

Tu attrapes distraitement une compresse et du désinfectant avant de venir nettoyer ta plaie sans broncher. Tu dois choisir Ivy. Y croire ou rejeter cette explication… Tu as besoin de plus de détails Ivy, bien que déjà le choix même du prénom ne te ressemblait pas. Tu restes prudente. Sur tes gardes. « Que je récapitule… Toi et Gadrel partageaient donc le même corps… Et non il est bien plus séduisant que toi qui n’est qu’une putain de pétasse sadique ! » Tu parles d’un ton neutre, presque détaché, contenant le flot de tes propres émotions qui menacent de rompre le maigre barrage de fortune dressé. « Cependant tu assures sa « sécurité » si je puis dire, tu prends soin de lui aussi… » Elle cherchait à le préserver, il y avait au moins une personne qui trouvait grâce à ses yeux. Tu t’étonnais toi-même de ta capacité à encaisser tout ce bordel. « Tu n’es ni sans défense, ni passive, pourtant… » Tu croises les bras sur ta poitrine avant d’esquisser quelques pas dans sa direction, te rapprochant de cet être nouveau. « C’est Gadrel qui mène la danse entre vous deux… Je m’interroge… » Tu laisses s’égrener quelques secondes. « Est-ce que j’arriverais à le faire revenir, te renvoyant dans ton coffre à jouets ? » Tu voudrais lui parler, l’entendre de sa bouche que tout ceci est bien réel. Pour autant tu les vois les traits de son visage fatigué. Ta main vint se poser sur sa joue, ton regard s’ancrant au sien. « Elle a raison. Repose-toi Gadrel. » Dis-tu avec douceur avant de rompre le contact et d’instaurer une nouvelle distance. « J’aimerais en savoir plus sur toi Seheiah… Depuis combien de temps dure cette cohabitation ? » Tu as besoin d’en savoir plus. « Qui a choisi ton prénom ? Pourquoi ce choix d’ailleurs ? ».

La flamme du briquet danse sur la lame, projetant ses éclats à travers la pièce. Une faible lueur, une pale lueur, presque hypnotisante. De l’essence… Un peu d’essence, un jet de flammes et elle finirait par prendre feu… Telle les sorcières aux procès de Salem. C’est ça tu l’associais plutôt à une sorte de sorcière. Tu trouvais que cette comparaison lui allait définitivement. « Merci du compliment ! » Le contraire t’aurait étonné. Tu allais devoir trouver où appuyer à ton tour pour que cela ne lui sied guère. Tâche qui tu le sais s’avèrera ardue. Pas totalement présente, sans pour autant être absente… Les Hommes, il était facile d’en trouver les limites, mais elle… Ce qu’elle était… Alter égo ou jeu d’esprit ? « Ce n’est pas aussi simple que tu te l’imagines, je le crains. » Dommage. Tu ne t’avoues vaincu pour autant, peut-être qu’avec une succession de contacts, ou de paroles ? Tu t’interroges Ivy, sans pour autant le faire. Tu l’as entendu que Gadrel était épuisé et cela ne te surprenait guère. Tu étais une dormeuse par intermittence et très succincte, mais lui. Il était de la catégorie olympique lorsqu’il s‘agissait de fuir Morphée. Tu te contenterais de la présence fortement désagréable de Seheiah. Tu te mets à y croire Ivy ? Tu préfères cette solution. À choisir entre ta folie ou celle d’un autre, tu optais pour la sienne, gardant ainsi le peu de sanité qu’il te restait encore. Équilibre fragile, précaire. Elle sursaute du contact de tes doigts. Définitivement une piste à creuser. Tu es entêtée Ivy et avec un fort penchant de revanche. Elle t’irrite, te pousse à bout, t’agace. Tu veux lui retourner la pareille. Tu n’es pas en mesure de le faire immédiatement cependant. Bien trop d’inconnus dans l’équation. Toujours connaitre son ennemi… « Que de questions ! » Mille excuses à sa seigneurie de l’assaillir ainsi de questions… C’est elle qui se montrait, tant pis. Parler d’elle l’indispose à ce point ? Tu étais prête à passer les dix prochaines minutes à lui en formuler à la pelle, telle une enfant s’interrogeant sur la face du monde. Elle referme le briquet, éteignant la flamme avec laquelle elle jouait. « Tu as de la chance que je sois de bonne humeur. De ce fait, j’accepte d’essayer de satisfaire ta curiosité à mon sujet. » Madame est trop bonne. Tu vins te caler contre la table, observant ton invitée. Tu esquisses un sourire en la voyant déposer le couteau… Non loin d’elle. Craindrait-elle tes réactions ? Elle a raison. « Je crois (...) rempli d’inepties. » Tu hoches la tête. Tu l’avais la référence effectivement.

Mais ce qui t’interpelles, du moins ce qui te saute au visage, c’est qu’elle sache que tu connaissais la signification du prénom de Gadrel. Cela signifiait qu’elle était omnisciente. Dans tous les instants. Un long frisson remonte le long de ta colonne vertébrale. Tu le ressens ce sentiment d’être épiée que tu détestes. Tous les instants ? Vraiment tous ? La bile te remonte menaçant de te faire vomir. Tu te mures derrière ton expression d’apparat bien que ton rythme cardiaque s’est accéléré ostensiblement. « Seheiah, l’ange-gardien de ceux nés entre le sept et le douze août, symbole de la longévité, blablabla…  Personnellement, j’ai toujours été jalouse de la signification du prénom de notre ami commun. Je le trouve tellement plus… révélateur. » Tellement plus pernicieuse et vile comme signification. Pourtant la notion de protection tu la jugeais parfaite pour Seheiah. Souligner le bon de sa « personnalité » pouvait être un moyen de l’agacer ? S’il y avait réellement du bon… Tu n’étais pas prête à creuser autant. Tu n’arrivais pas même à comprendre pourquoi Gadrel avait besoin d’elle. Il y avait une raison à sa présence, tu n’en doutais pas, mais pourquoi être encore là ? « M’enfin… ce n’est pas comme si nous avions le choix concernant certains aspects de notre naissance, je présume. Sinon, je me doute bien que tu n’aurais pas choisi ton propre passé, n’est-ce pas ? » Tu la fusilles du regard, tu le vois son sourire. Elle se complait dans cette souffrance qu’elle t’inflige. Volontaire. Mais tu te réjouissais qu’elle n’en sache plus que nécessaire. Après tout elle avait été incapable de donner le bon surnom alors ton passé… Tes bras se décroisent attrapant le rebord de la table. « Que connais-tu réellement de mon passé Seheiah ? » L’interroges-tu avec un sourire amusé. « Parce que tu te pavanes là, t’amusant à infliger peine et douleur, dans un pur plaisir sadique… Mais au fond Seheiah. Tu ne sais rien. » Tu soupires « Mais je vais te confier un petit secret entre nous… Tu aimes la souffrance, surement l’infliger même… Alors sache que tout ton manège digne d’une débutante n’est rien comparativement à ce que j’ai enduré. Je suis persuadée que mon histoire à elle seule te provoquerait un orgasme puissant… » Elle se vautrerait sans complexe dans ta souffrance tu en étais persuadée, voulant connaitre la suite, car tout n’avait été qu’une succession de pire. « Ne crois pas que je me place en victime non… Mon passé je ne l’ai pas choisi certainement pas, mais il m’a mené jusqu’ici. Pas trop mal pour une miséreuse russe… » Ton passé te hantait, créateur de tant de blessures, mais de ce malheur en était sorti ta famille. La meilleure chose qu’il te soit arrivée. Un oasis dans le désert. « Tu veux continuer à m’insulter, vas-y fais-toi plaisir ! Peut-être que ça t’apportera même une once d’excitation, mais à la finalité… Tu resteras toujours en deuxième position à devoir te satisfaire des miettes laissées par Gadrel… » Tu fis une mine faussement triste. « Pauvre petite chose immatérielle… ». Tu aiguisais tes griffes Ivy. Elle avait dit être enchantée de te rencontrer officiellement. Tu allais donc lui faire le plaisir de lui montrer qui tu étais, dans toute ta splendeur. Elle avait un avantage sur toi, elle te connaissait, succinctement certes, mais elle avait eu des années à t’observer. Tu partais avec un handicap considérable, tu en étais consciente, mais les outsiders avaient toujours leurs chances dans les batailles…

Tout ceci est étrange, comme si tu étais dans un rêve désagréable duquel tu n’arrivais à t’extirper. Tes mains resserrent leurs prises sur la table, t’envoyant un pic de douleur que tu camoufles derrière ton air neutre. Tu ressens, tu es présente. Bien présente. Serait-ce la réalité ? Vraiment ? Tu tend à te le faire croire. Cependant tu sais que tu ne scelleras pleinement ton opinion qu’après avoir eu une discussion avec Gadrel. Une longue discussion… Aussi devrais-tu ronger ton frein car il ne sera pas en mesure de la mener avant quelques heures, de ce que tu avais compris. S’ils se ressemblaient sur un point, c’était cette facilité déconcertante d’attraper tes mots au vol, jouer avec, les faisant tourner autour de leurs doigts, et les expédier vivement contre le mur.  Cela glissait sur eux comme l’eau sur un rocher. Ceci étant dit, le facies de Seheiah exprimait bien plus que celui de Gadrel, bien plus gardien de ses expressions. « Ton point de vue est très intéressant, Ivy. » Tu observes ses mimiques traduisant bien le fait qu’elle n’en avait strictement rien à cirer. Tu t’interrogeais alors, qu’est-ce qui pourrait la passionner ? Voulais-tu réellement le savoir ? Pas réellement. Ou peut-être un peu… Curiosité malsaine sans doute. Son regard est ancré au tien, glaciale, métallique, inanimé. Tes doigts viennent marteler le dessous de la table, attendant la suite de son discours qui s’annonçait. « Cela dit, (…) si je le peux. » Cela confirmait pleinement le penchant sadique décelé précédemment. Te donnant une indication sûre par rapport à son être. Tu glanais les informations au compte-goutte, mais tu comptais en recevoir le plus possible. Si elle te le permettait. Tu étais imprévisible Ivy, mais tu ne douterais nullement qu’elle devait être faite avec un peu du même bois. Point étonnant qu’elle appuie sur tes plaies, elle les voyait bien plus que la communauté mortelle et s’extasiait de pouvoir en faire couler plus de sang. Et de tes réactions préalables tu lui avais même donné une carte d’accès directe. Tu allais devoir te contenir Ivy et ravaler tes envies de lui arracher la gorge seulement armée de tes dents. Seheiah est une fine observatrice, dotée d’une déduction presque infaillible. Selon ton opinion. Elle jouait de la provocation tel un instrument pratiqué depuis bien des années. « Malheureusement, je crains que tu ne te fourvoies sur d’autres aspects de ma personne. » Elle obtient toute ton intention, entrant par inadvertance dans le propre jeu que tu inities. Elle est loquace, bien plus que Gadrel et c’est à ton avantage. « Vois-tu, je n’apparais pas seulement lorsque Gadrel se trouve au bord du précipice. Nous sommes indissociables l’un de l’autre. Ce n’est pas parce que tu ne peux ni me voir ni m’entendre que c’est réciproque, jolie Empoisonneuse. » Tu avais pu le deviner à mesure de ces viles paroles, te confrontant à des éléments vécus dont elle n’aurait pu avoir connaissance qu’en y « assistant ». La question te brûle les lèvres, voulant sortir d’entre tes lèvres. Tu voudrais qu’elle te le dise si elle est présente tout le temps. À chaque instant. Y’a-t-il des moments où elle-même s’absente de leur conscience commune ? Tu ne la poseras pas cette question, tu lui fournirais un couteau aiguisé qui viendrait griffer ton âme. « Par exemple, sache que je suis une très vieille amie de Mikkel et qu’il adore mon inventivité ! » Mais quelle pétasse ! Une gifle à droite, une gifle à gauche et maintenant un sublime coup de poing dans le ventre.

Elle était très douée. Trop douée. Ne ressentant ni remords, ni regrets. Non. Tu admirais quelque part cette capacité à frapper fort et juste et ne pas reculer. Une à une elle mettait tes faiblesses en exergue et les tailladait de ses griffes pointues. Tu la détestais. Non tu la haïssais. Elle était ce miroir te reflétant la longue liste de tes imperfections, de tes angoisses. Plus elle s’émancipait et plus le physique de Gadrel s’estompait, comme si ton esprit lui-même l’affublait d’une apparence nouvelle, faisant le distinguo entre ces parties d’un même être. Rendant tes projets de mort subite bien plus envisageable. A tort. Tu baisses la tête lâchant un léger rire, avant de la relever. « Je le saluerais de ta part lorsque je le verrais si tu veux, puisque tu n’es pas prête de le revoir dans l’immédiat je le crains. » Lui renvoyant que toi tu savais où il se trouvait. Toi et toi seule. Encore des secrets, toujours des secrets, Mikkel dans toute sa splendeur. Mais en même temps, gardien du secret de Gadrel cela n’était point étonnant. Même en sachant cette particularité, tu ferais comme si tu l’ignorais si le sujet venait à être mis sur la table. Ce n’était pas à ton frère de te l’apprendre, et tu étais à peu près certaine que s’il avait pu Gadrel ne te l’aurait point dévoilé. Tout comme tu t’étais gardée de ta propre aliénation. Bien que Seheiah en avait saisi les contours. Pétasse ! « Mikkel sait très bien s’entourer, je ne doute pas que tes talents doivent lui être utile. » Tu ne présumerais nullement de ses talents, ni te t’aventurerais plus, si elle tenait en t’en faire une liste détaillée, bien à elle. Mais tu n’irais pas sur le chemin du questionnement. Elle serait bien trop à l’aise pour te mener où elle le déciderait, sans que tu ne puisses vérifier ses allégations. Mais la façon dont elle maniait la lame précédemment, son affection pour les nouvelles cicatrices, tu avais une légère indication sur quoi portait son inventivité.

Tu relâches la table, te détachant de celle-ci avant de faire quelques pas dans la salle, observant ces lieux que tu connaissais par cœur. Tes doigts viennent remettre en place les objets sur la table dans un alignement parfait. Tu te questionnes, tu t’interroges. « Quels sont tes désirs Seheiah ? » Son prénom roule sur ta langue, ton regard se pose sur elle alors que tu avances progressivement dans sa direction. « Que veux-tu réellement ? » Tu t’approches encore jusqu’à ce que vos corps ne se frôlent, ton souffle se perdant presque sur son épiderme.

« Oh, tu sais, la seule personne qui s’offusque de cette situation ici, c’est Gadrel. » Raté ! Bon tu pouvais rayer ton frère comme potentiel levier face à elle. L’avantage d’échouer ce que tu réduisais au fur et à mesure les pistes. Arriverais-tu à en trouver véritablement. Rien n’était moins sûre, mais loin de toi l’envie d’abandonner. Pas après ce qu’elle t’avait fait endurer, à mettre ton nez en face de tes fêlures profondes. Entêtement intense, coriace, au grand damne de beaucoup. Tu ne serais pas différente. Si telle était la volonté de ton esprit de se jouer de toi et de t’éprouver, tu pouvais lui aussi lui faire goûter à ta propre médecine. S’il s’avérait que Seheiah était bien ce qu’elle prétendait être, dans ce cas c’est elle qui en subirait les frais. Tu gagnais sur tous les tableaux. Tu la complimentes à demi-mots, léchant son ego, et son manque de réponse t’oriente sur l’appréciation de celui-ci. La flatterie, cette arme redoutable pouvant abaisser bien des barrières. Tu ne te fourvoies point quant au fait que cela reste superficiel, et qu’il suffirait de si peu pour que tout s’embrase dans un déluge de flammes. Tu changes de tactique, opérant un virage incertain et brandigolant. Soit tu parvenais à te maintenir sur la chaussée, soit tu valsais dans le décor, mais ce jeu méritait d’être fait. « Mes désirs ? » Tu l’interpelles Ivy, tu es heureuse de pouvoir les lire ses expressions faisant cruellement défaut à Gadrel. Si Maître de son corps. Tu accrois votre proximité physique, rompant cette distance de sécurité. Tu le vois son léger coup d’œil sur la lame étincelante à ses côtés. Craindrait-elle tes réactions ? Elle avait raison, dans une certaine mesure. La blesser, serait blesser Gadrel… Tu ne pouvais pas ? Juste un peu ? Un tout petit peu ? Du genre blessure non mortelle mais douloureuse ? Tu détestais ta raison ! Tu joues un jeu dangereux Ivy, car bien que tu doutasses de pouvoir la blesser, tu mettrais tes deux mains à couper qu’elle n’hésiterait nullement à t’enfoncer ce couteau au fond de tes entrailles. Tu ne miserais pas sur le fait que Gadrel réussirait à l’en empêcher. Toutefois, tu n’en ressens pas de crainte. Comme tu l’avais toujours dit, tu ne craignais pas la mort. Elle était ta compagne de route et tu savais qu’un jour ou l’autre elle viendrait réclamer son dû sur ton âme. Ainsi était faite la vie.

Les secondes défilent sans que tu n’aies de réponse. Vos regards s’écorchent, s’entrechoquent, chacune cherchant quelque chose que vous ne trouverez point. « Le protéger. » Sa réponse claque dans l’air d’une sincérité prenante. Empreinte de douleur mais d’une telle magnificence. Tu éprouverais presque de la sympathie à son égard. Tout simplement parce qu’une réflexion te frappe. Mikkel avait Gadrel pour le protéger, mais qui avait-il-lui pour assurer ses arrières ? Car bien que tu te préoccupasses des fesses de ton frère, depuis quelques mois, le postérieur de Gadrel t’importait aussi… Encore plus depuis vos fous ébats alors qu’il était venu réclamer sa place sur ton âme. Qui alors serait là indéfectiblement pour lui ? La réponse se trouvait sous tes yeux. Fervente gardienne, fière amazone à la lance aiguisée qui n’hésiterait pas à trancher bon nombre de gorges. « Quelles sont tes intentions envers lui, Ivy ? » Elle cherchait à connaitre tes intentions ? Vraiment ? Ta vie semblait si peu l’intéresser, que tu ne pensais pas qu’elle s’abaisserait à te poser des questions. Certes cela allait de pair avec son intention de le protéger… Le protéger… De toi ? Pourquoi ? Tu n’arrivais pas à avoir cette pièce manquante. « Et ne t’avise pas de me dire ce que je veux entendre. Contente-toi de la vérité. Je le saurai immédiatement si tu as le culot de me mentir. » Tu esquisses un sourire, amusée de sa réaction. « Loin de moi cette idée… » Réponds-tu avec légèreté. Tu pourrais essayer… Voir si réellement elle arriverait à percer ton masque de mensonge. Le jeu te tentait atrocement… Bien que ce ne soit ni le lieu et encore moins l’instant pour le faire. Tu laisses quelques secondes s’écouler, te contentant d’observer ce regard sombre aux reflets grisés. « Honnêtement… Je ne sais pas… » Commences-tu avec la plus grande franchise. « Je ne prévois pas de plan d’avenir, je ne nous vois pas avec des gosses un chien et une maison… Mais je ne me vois plus sans lui… ». Tu la joues la carte de la franchise. Ton regard se perd sur le ciseau planté dans le mur « Je suis intimement convaincue que lui et moi c’est la pire association qu’il puisse y avoir ! C’est insensé, toxique, brutal… » Tu reposes alors ton regard sur Seheiah « Et j’adore ça… » Il s’agit bien de la première fois où tu ressens ainsi ces émotions, cette envie dévorante, ce besoin vital. « Il y a peu de chose dont je sois certaine… Mais je suis sûre que je ne veux pas le blesser… » Tes yeux fixent les siens, qu’elle lise dans ton âme ce qu’elle y souhaite, elle avait l’air de n’avoir aucun secret pour la pétasse sadique aux accents protecteurs devant toi. « Mensonge ou vérité ? » L’aguiches-tu de ta voix provocante.  

Tu as été honnête Ivy, du mieux que tu pouvais. Tu ne t’étais pas interrogée sur cette question, pourquoi l’aurais-tu fait ? Tu n’étais qu’impulsivité. Tu vivais l’instant présent sans te soucier des conséquences. Bien que pour le coup elles venaient se répercuter sur ton être, sur ton âme. Tu ne sais ce qu’elle cherche à obtenir comme réponse, si même ce que tu viens de répondre lui est satisfaisant. Peut-être… Peut-être pas… « Vérité. » Au moins elle ne remettait pas en cause tes dires qui pour le coup étaient pensés. « Mais. » Il y avait toujours un mais, cela ne pouvait s’arrêter là, être aussi simple qu’une gentille petite discussion. Il fallait forcément un droit de réponse. Le sourire qu’elle t’adresse ne t’annonce absolument rien de bon… « Je crois que toi et moi, nous savons toutes les deux que tu finiras par le détruire. Et malgré cela, tu préfères nier cette évidence, afin d’assouvir tes propres désirs plutôt que de le protéger de toi. » Tu ne peux retenir une légère grimace. Elle n’avait pas totalement tort. Du moins d’une certaine façon. Certes tu t’étais contentée de suivre tes envies, tu ne pourrais le nier. Mais il y avait résisté avec tant de force et de ferveur, que tu avais fini par croire que toi et lui, cela ne resterait qu’au sein même de ta mémoire, se résumant à une seule et unique nuit. Jamais tu n’aurais cru opérer ce tournant radical. Vous aviez à peine eut le temps de le savourer qu’un pavé était tombé dans la mare secouant toute la faune aquatique. « Tu finiras pas le détruire » Tu n’étais pas sûre que la réciproque ne serait pas valable. Pour preuve, tu te tenais encore présente alors que le bon sens t’aurait soufflé de décamper et de t’éloigner de cette folie qui était sienne et qui viendrait indubitablement lécher la tienne. Peut-être que cela tenait du fait que tu étais déjà brisée, d’un millier de façons. Cela ne pourrais-être pire…

Tu sous-estimais l’impact émotionnel bien évidement, bien loin de saisir toute l’étendue de ton attachement. Qui regarderait droit dans les yeux l’alter-ego de l’être désiré en parlant avec franchise au présent voir futur ? Tu ne te comprenais pas toi-même. « Je ne te déteste (…) lui comme pour moi.  » Tu ne peux t’empêcher d’arquer un sourcil. Vraiment elle, ne te détestait pas ? Tu aurais pourtant soutenu le contraire. Allant même jusqu’à dire qu’elle souhaiterait voir tes tripes répandues sur le sol. Si son comportement était une preuve d’appréciation, tu ne voulais voir ce qu’elle réservait à ceux qu’elle haïssait ! Ou peut-être le voudrais-tu, par simple curiosité. Elle croise les bras, tu te recule quelque peu, instaurant une distance raisonnable. « Néanmoins, (…) dépecer vivante. » Elle donnait son accord pour quoique vous soyez ? Très honnêtement tu t’en foutais un peu qu’on se le dise, mais tu te doutais que cela apaiserait peut-être un peu les tensions au sein de ce duo. Ceci étant dit, tu préférais avoir Seheiah en alliée plutôt qu’ennemie. Tu entends sa menace bien que tu ne saisisses pourquoi tu ferais une telle chose. Cela serait insensé… Insensé… L’état de ton si fragile esprit… « Ceci dit, (…) son œuvre.  » Tu restes interdites Ivy, ne sachant quoi répondre. Tu ne doutes de la sincérité de ses mots cependant, mais tu ne t’y attendais nullement. « Faisons un marché… Si tu l’acceptes… Protège-le de ma propre folie. Si tu dois en passer par prendre sa place pour m’empêcher de lui nuire, fais-le ! » Qu’importe les moyens employés tant qu’il ne soit pas un dommage collatéral. Ton impulsivité c’était autre chose, mais ton esprit brisé, tu ne lui faisais nulle confiance, tu préférais t’assurer d’un renfort solide. Dans le cas où tu ne parviendrais à endiguer cette douce chute qui était la tienne. « Je n’attends rien de toi Seheiah, je ne veux pas que tu me « serves »… » Tu détestais ce terme. « Cela sera t’avilir et on sait toutes les deux que tu es loin de l’être. » Tu ne sais pas dans quoi tu t’embarques Ivy mais tu le fais avec panache. « Mais je t’exposerais mes demandes, tout comme tu pourras m’exposer les tiennes. » Totalement irréelle cette conversation.

Elle avait souligné ton égoïsme, tu le reconnaissais tu l’étais à certains aspects, mais pas au détriment de certaines situations. Comme ici. Tu aurais pu juste dire oui d’accord et te barrer avec ça… Mais non. Cela touchait Gadrel et donc obscurcissait ta pensée. Pour lui oui tu serais prête à t’accommoder de Seheiah. D’une certaine façon, du moins essayer. Tu n’étais pas dupe, les premiers instants allaient s’avérer… Difficiles après ce soir. Tu allais devoir le digérer et vivre avec cette connaissance… En cet instant tout te semblait possible, envisageable. Cette révélation, bien que fortuite, te rapprochait de son âme dans un délicieux appel. « Est-ce qu’il se souviendra de cette conversation ? » L’interroges-tu curieuse. Tu sens les battements de ton cœur s’accélérer à la demande non formulée qui vient écorcher ta conscience, martelant de toute sa puissance… Ta langue passe furtivement sur tes lèvres. « Seheiah… Permettrais-tu que je puisse échanger avec Gadrel s’il te plait ? » Tu le ressens ce besoin de retrouver ses yeux magnétiques. « Juste quelques instants, si ce n’est pas trop pénible pour lui… » Tu mets les formes Ivy, donnant à ta voix ce timbre calme et posé dont tu as la maitrise. Tu ne lui imposais rien, tu mettais en exécution exactement ce que tu énonçais plus tôt. Tu ne voulais rien exiger, elle était libre de prendre ses décisions et de refuser ta requête. Mais tu en avais tant besoin Ivy. Ce besoin de le voir, de le sentir, de le toucher. Lui. Mais surtout ce besoin de t’assurer que tout ceci n’est pas une illusion de ton esprit…