C’était une belle journée en perspective. Il y avait un grand soleil sur Seattle, la ville se retrouvait bercée par une douce chaleur scintillante et réconfortante alors que l’hiver prenait tranquillement sa place depuis déjà quelques semaines. Ce qui rendait Liam si souriant aujourd’hui ? La réponse était simple. Le jeune homme allait pouvoir profiter de passer du temps avec sa fille pour les heures à venir. La mère de la petite avait accepté de lui confier l’enfant pour l’après-midi et seule la présence habituelle – et obligatoire d’après l’infirmière– d’une assistante sociale venait entacher quelque peu cette nouvelle. Mais le pompier ne se laissait pas démoraliser par cette exigence, après tout, pouvait-il réellement tenir rigueur à celle qui avait donné la vie à sa progéniture de ne pas lui donner toute sa confiance ? Il avait parfaitement conscience de ne pas être un homme sans défaut, et les siens l’empêchaient bien souvent de pouvoir se vanter d’être un père modèle. Malgré la cure de désintoxication qu’il avait suivie lorsqu’il avait appris la nouvelle de sa paternité, il fallait avouer que Liam chutait encore régulièrement face à ses vieux démons. Il se maudissait pour cela. Il aurait voulu être plus fort, se montrer plus tenace, avoir une volonté plus grande, mais il lui était difficile de ne pas se laisser submerger de temps à autre par son envie de voir la vie à travers le prisme envoûtant d’une bonne dose de médicaments ou de drogues hallucinogènes. Sans oublier que sa manie de se lancer à corps perdu dans tout un tas d’activités plus au moins légales et dangereuses remontait vite aux oreilles de celle qui avait été un soutien lors de moments douloureux pour lui. Déjà à l’époque, elle avait pu l’écouter lui raconter les aventures qu’il s’évertuait à vivre quand sa maladie ne le clouait pas sur place ou que les traitements ne l'enfonçaient pas dans un état léthargique désastreux.

Aujourd’hui, Liam avait bien l’intention de mettre aux oubliettes ses addictions, ses envies folles et ses besoins de se sentir vivant à tout prix. Sa fille. Voilà qui comblerait à merveille le manque qu’il sentait au fond de son être. Cela faisait quatre ans qu’elle était son rayon de lumière, l’espoir qui lui avait cruellement fait défaut pour ne pas sombrer dans les noirceurs d’une utopie plus forte que lui. Elle représentait son tout, et il n’avait nullement l’intention de louper ne serait-ce qu’une seconde de ce temps qui ne leur était que trop peu accordé.

Waterfront Park serait le décor parfait pour cette rencontre familiale tant attendue. L’esplanade en bois longeant la mer, les étendues d’herbe verte et la grande roue allaient accueillir un père aux anges, ravi de tenir la main de sa petite fille en déambulant parmi les habitants de Seattle, fier de la voir sourire, rire et s’exclamer devant la beauté de cette journée partagée. La surveillante – gardienne de prison – gardait un œil sur eux de loin, Liam avait réussi à la convaincre de les laisser respirer en leur accordant une observation éloignée. La dame étant présente à chacune de ces entrevues familiales depuis près de quatre ans, excepté lorsque la mère de la petite était disponible, sans doute commençait-elle à accorder plus de confiance au jeune papa, ce qui pouvait expliquer son léger relâchement. Pour fêter cette journée, les deux complices dégustaient en guise de dessert un délice rempli de sucre, chacun ayant eu le droit à sa propre gaufre nappée de chocolat. L’après-midi ne faisait que commencer, le programme était léger, le but étant principalement de profiter de la météo clémente tout en partageant des éclats de rire et des câlins tout doux en espérant que le temps leur étant accordé ne défile pas trop rapidement.

« Espèce de petite canaille, tu t’en es mis de partout ! », accroupis face à sa fille, Liam souriait tout en secouant légèrement la tête de gauche à droite en essuyant à l’aide d’un mouchoir le bout du nez recouvert de chocolat. À peine eut-il le temps de se relever afin de mettre à la poubelle l’essuie-tout, que la petite en profita pour filer, se rapprochant doucement d’un banc où une jeune femme créait des mélodies harmonieuses à l’aide d’une guitare. Le brun alla retrouver son enfant en accélérant le pas, déposant ses paumes sur les frêles épaules de la petite qui admirait l’artiste avec un regard ébahit. Ni le père, ni la fille ne dirent un mot pendant quelques minutes, se contentant de savourer l’instant, l’atmosphère étant soudainement devenue particulière, agréable, paisible, comme hors du temps. Les pensées de Liam se mirent à vagabonder, il se perdit dans certains de ses souvenirs qui remontaient à la surface en écoutant les notes s’échappant de l’instrument tandis que l’être désormais le plus important de sa vie se déroba à ses bras. Il fallut un peu temps au jeune homme avant de réagir, sa fille s’étant rapprochée de la musicienne jusqu’à se retrouver à seulement quelques centimètres de la guitare avant de l’apostropher d’un ton guilleret, « C’est joli ce que vous faites ! ». Liam ne put s’empêcher de laisser un petit rire sortir d’entre ses lèvres sous la spontanéité de sa fille avant de faire à son tour quelques pas.

« Veuillez l’excuser pour son interruption, la musique a toujours eu le don de l’attirer. », du moins, du plus loin qu’il s’en souvienne, depuis qu’il avait fait sa connaissance, la petite avait montré un intérêt particulier pour cet art, se montrant curieuse et enthousiaste à la moindre écoute. Son regard passait de la jeune femme à sa fille, cette dernière tendant sa main pour toucher du bout des doigts l’instrument. « Cela dit, elle a parfaitement raison, ce que vous jouez est magnifique. Théa, on ne touche pas avant d'en avoir la permission ! », attrapant délicatement la main de sa fille avec un temps de retard, on pouvait déjà entendre une corde de l'instrument se tordre pour laisser s'échapper une note nettement moins mélodieuse que ce dont ils avaient eu le droit jusqu'à présent.

Les oiseaux gazouillants dans les arbres, les rayons du soleil réchauffant sa peau, autant de petites choses qui rendaient Liam souriant. Mais ce qui lui mettait surtout du baume au cœur, c’était d’entendre le rire de sa fille résonner à ses oreilles. Et aujourd’hui, il était un père comblé ! Théa semblait heureuse, presque euphorique de cette balade qu’ils partageaient alors que cela faisait déjà presque deux semaines qu’ils ne s’étaient pas vus. Le jeune homme la regardait déambuler dans le parc, lui offrant une gaufre, s’émerveillant face à sa bouille couverte de chocolat tandis que leur espace de liberté c’était vu agrandi de par la distance gentiment gardée par l’assistante sociale. Ils se promenaient main dans la main, riants aux éclats et se prenant dans les bras tel un père et une enfant n’ayant nullement besoin de surveillance. Après tout, il était un parent bienveillant, ne souhaitant que le meilleur pour Théa, mais s’il fallait accepter la présence d’une tierce personne afin d’avoir le bonheur de passer du temps en compagnie de la fillette, c’était là un compromis qu’il était prêt à accorder. C’eut été un beau mensonge que de dire que cela le réjouissait. Bien qu’au début, savoir qu’il ne se retrouverait pas seul avec le petit lutin l’avait rassuré, désormais, il se sentait apte à s’occuper de cette tornade haute comme trois pommes. Ses crises de manque étaient – presque – de l’histoire ancienne, ses envies de plonger tête la première dans une piscine de médocs s’étaient quant à elles – presque – fait la malle et il parvenait sans grande difficulté à occulter son besoin de vivre des sensations fortes lorsque Théa se trouvait près de lui. La gamine était à elle seule une source inépuisable de challenge, d’énergie et de souffle de vie. Sa présence lui suffisait amplement, lui figeant une risette de bonheur sur les lèvres.

Liam écoutait attentivement les notes de musique qui s’échappaient de la guitare de l’inconnue jusqu’à ce qu’une voix qu’il connaissait bien vienne dire tout haut ce que lui pensait tout bas. Oui, la mélodie jouée était très jolie. Magnifique. Elle était en parfaite adéquation avec ce qu’il ressentait à l’instant. Légèreté, joie, sérénité. Une douce complainte harmonieuse aux allures de berceuse.

« On ne voulait pas vous couper en pleine chanson. », il avait souri face à la sympathie de l’artiste qui leur stipulait que cette interruption n’était pas grave avant de surenchérir sur les dires de sa fille, avouant à son tour que l’air de guitare était formidable. Un son nettement moins mélodieux parvint à ses oreilles au moment où les minuscules doigts de Théa pincèrent une corde alors qu’aucune question n’avait été émise, et qu’aucune autorisation n’avait été donnée. Liam lui en fit la réflexion, essayant de se comporter en père éducateur, mais ce rôle ne lui seyait guère au teint et c’était avec un sourcil relevé d’amusement qu’il regarda celle qui venait de leur indiquer que la curiosité était également de son fait, « Ne lui dites pas ça, sinon elle va vous chiper la guitare pour s’amuser avec. ». Son rire avait percé l’air en imaginant sa fille s’installer à même le sol, l’instrument plus grand qu’elle posé sur les genoux, à essayer de se faire retourner Jimi Hendrix dans sa tombe !

« Tu entends ça Princesse ? Et c’est une musicienne de talent qui te le dit ! », mais la petite ne l’écoutait déjà plus, s’éloignant vers une aire de jeux tout en faisant de l’air-guitar dans un solo endiablé sous le regard médusé de son père qui ne put retenir un nouveau rire.

« Ravi Ayame. Liam. », il avait saisi la main tendue en dédiant un sourire à la jeune femme avant de poursuivre, gardant un œil sur les jeux à bascule non loin de là où la petite avait retrouvé un groupe d’enfants de plus ou moins son âge. « Je vis à quelques rues d’ici effectivement. Quant à Théa… Sa maison n’est pas très loin non plus. », un voile de tristesse avait traversé son visage un court instant. Accueillir sa fille chez lui pour plus que quelques heures et sans colocataires susceptibles de débarquer, Liam espérait que cela devienne réalité rapidement. Oh, il adorait vivre avec cette bande de joyeux lurons, ils se soutenaient tous sans jamais n’émettre aucun jugement les uns sur les autres. C’était agréable de ne pas rentrer dans un appartement vide de toute présence humaine, mais il avait conscience que ce n’était pas le meilleur endroit pour qu’une petite fille puisse s’épanouir. Ils avaient tous leurs casseroles, et même si chacun mettait du sien pour s’en sortir, Théa avait sans doute besoin de calme, de quiétude et de sérénité dans son foyer. Mais bon, pour l’instant la question ne se posait pas réellement, il n’avait ni les moyens de se loger seul, ni la possibilité d’accueillir la petite ne serait-ce que pour une nuit… Alors il chassa rapidement ses pensées, et reprit la parole d’un tout guilleret, « Vous venez souvent montrer vos talents par ici ? Je ne me souviens pas vous avoir déjà entendu. ». Pourtant, il venait régulièrement dans ce parc, son footing revigorant au bord de l’eau, c’était ici qu’il venait le faire !

Il s’était perdu dans ses pensées. Entre la vie avec ses colocataires et son envie de pouvoir partager plus de temps avec sa fille, Liam ne savait pas toujours comment gérer la situation. De toute façon, à l’heure actuelle, il était inenvisageable de réussir à convaincre la mère de la petite de laisser cette dernière ne serait-ce que passer une nuit complète avec son père. La relation entre les deux adultes était encore compliquée. Le manque de confiance, les doutes, les questions concernant le passé et celles sur l’avenir… C’était autant de choses qui ne faisaient que mettre des bâtons dans les roues aux jeunes parents. Pourtant, quand il y réfléchissait, Liam était convaincu que ses amis et colocataires pourraient accepter de voir un petit gnome rempli d’énergie venir égailler une de leurs soirées. Tout se passerait bien. Mais ce n’était pas demain la veille qu’il aurait l’occasion de vérifier cela !

Remettant les pieds sur terre, il interrogea à son tour Ayame, certain de ne l’avoir jamais croisé, et de n’avoir jamais entendu ses jolies mélodies dans les horizons. Il hocha la tête de manière positive en l’écoutant parler, d’accord avec son avis sur le grand air et les bureaux bruyants. Lui, il n’avait jamais aimé ça. Rester les fesses posées sur une chaise devant un écran ressemblait à un cauchemar ! Sans doute avait-il la sensation d’avoir perdu trop de temps à rester enfermé, allongé sur son lit ou entre les murs d’un hôpital. Depuis qu’il en était sorti, Liam voulait vivre. À mille à l’heure. Chaque nouvelle journée devait être une aventure, comme si sa vie en dépendait. Insouciant des dangers, il préférait ne pas avoir de regret, explorer les possibles pour mieux respirer. « Je comprends parfaitement. Le silence d’une pièce peut être particulièrement désagréable par moments, mais alors le son du téléphone. Brrrrrr, ne m’en parlez pas ! », ponctuant sa phrase d’un rire, le brun trouvait toujours cela intéressant de rencontrer des personnes ayant eu des expériences totalement différentes des siennes et qui, pourtant, partageaient les mêmes impressions sur le monde.

Il gardait un œil sur la petite, un sourire aux lèvres tandis qu’il la voyait s’amuser avec un groupe d’enfants de son âge. Son regard se déposa sur la jeune guitariste alors que celle-ci lui indiquait pouvoir se transformer en professeur, « C’est très gentil à vous, je suis sûr que Théa en serait ravie. ». Cela demanderait une certaine organisation, les moments où il voyait sa fille n’étant pas d’une régularité impressionnante. Mais peut-être que si elle se prenait au jeu, trouvant l’apprentissage musical amusant, alors cela leur ferait une excuse pour plaider auprès de la mère de la fillette des visites plus régulières. Comme on dit, tous les moyens sont bons ! Et puis, en l’occurrence, c’était un loisir parfaitement sain et intéressant. Le sourire de Liam s’était agrandi suite à cette proposition, mais la question qui suivit lui fit hausser un sourcil d’amusement. On la lui posait régulièrement. Comme si, en un seul coup d’œil, chaque personne croisant sa route était en mesure de se rendre compte de l’ineptie d’une telle chose et que cela les taraudait de savoir si un grand gamin tel que lui était en mesure de s’occuper d’une enfant. Il n’avait pas répondu immédiatement, se rappelant les similitudes physiques entre Théa et lui que beaucoup s’étaient amusés à lui énumérer. Apparemment, elle avait hérité des yeux de son père, de son sourire également. En apprenant à la connaître, Liam avait rapidement compris qu’elle avait également chopé sa joie de vivre, son besoin de ne surtout jamais s’ennuyer et cette envie de découverte qui avait poussé le jeune homme dans des situations qu’il espérait bien que sa fille ne connaîtrait jamais ! Alors qu’il s’apprêtait enfin à répondre par l’affirmative, il n’en eut pas le temps, Ayame s’excusant pour son indiscrétion avant de justifier son interrogation pour finalement poser une nouvelle question. Le rire de Liam avait rejoint celui de la jeune femme. Non pas que la voir légèrement gênée fût amusant, il trouvait surtout sa manière de faire plutôt attendrissante. « Arrêtez de vous excuser, vous n’avez absolument rien fait de mal. Et puis, vous m’aviez prévenue de votre curiosité... », il lui jeta un regard taquin avant de poursuivre, « Pour répondre à vos questions, j’ai effectivement l’immense bonheur d’être le père de cette adorable petite fille de sept ans. ». Oui, il était fier de son bout de chou Liam. Si en découvrant sa paternité, il avait quelque peu paniqué, la peur avait néanmoins rapidement été éclipsée. Il avait été en colère au début. En colère contre cette femme qui l’avait privée de son rôle durant quelques années. À cause de cela, il avait loupé beaucoup trop d’étapes de la vie de sa fille ; les premiers rires, les premiers sourires, les premiers pas, les premiers mots, le premier noël, les premiers yeux remplis de magie et toutes ces choses qu’un bébé découvre. Il avait conscience qu’à l’époque, il n’aurait sans doute pas été en mesure d’en profiter, peut-être n’aurait-il pas pu se montrer à la hauteur de cette responsabilité, mais ça, il ne le saura jamais. Se serait-il autant enfoncé dans ses addictions s’il avait su ? Où se serait-il repris en main bien plus tôt ? Autant de questions qu’il s’était posées à maintes reprises avant d’évacuer sa frustration pour ne laisser de place qu’à la joie face aux yeux rieurs de Théa.

« J’imagine que puisque vous vous êtes permis des indiscrétions, je le peux aussi. Vous avez parlé de déformation professionnelle tout en m’indiquant que vous disposiez de peu de temps libre. Je sais que vos heures de travail se déroulent dans un bureau où le téléphone ne cesse de sonner. », son index tapotant son menton, il fixait Ayame tout en réfléchissant, « Laissez-moi deviner... ». Son cerveau tentait de faire l’addition des indices à sa disposition. Un plus un font deux, donc logiquement, « Vous êtes détective privée ou alors organisatrice de mariage qui offre ses talents de musicienne pour la soirée d’après la cérémonie ! Non, non, c’est bon, je sais ! Vous êtes thérapeute musicale. Après tout, on dit que ça adoucit les mœurs. La dernière possibilité, c’est que vous soyez voyante. Ça, ça expliquerait parfaitement que vous ayez deviné mon lien de parenté avec Théa. », s’asseyant à ses côtés, il disait tout ce qui lui passait par la tête, autant de bêtise, d’ironie que de métier qu’il envisageait réellement pour elle. Sans doute était-il loin de la vérité, mais ce petit jeu l’amusait beaucoup, « Si la dernière option est la bonne, il va falloir me dire un truc pour me convaincre. C’est quoi votre spécialité ? Le tirage des cartes, la lecture des lignes de la main, vous lisez dans les pensées ? Dites-moi une chose que seule une voyante pourrait être en mesure de savoir en ayant parlée que cinq minutes avec moi. ». Liam était parti dans son délire. Parlant vite, il oubliait presque que justement, ils ne se connaissaient que depuis quelques minutes et qu’il devrait peut-être se montrer moins enthousiasme face à son imagination quelque peu débordante, d’autant que l’assistante sociale le surveillant n’était pas très loin.


HRP : désolé, je me suis peut-être un peu emportée...