[Automne 2013]
Yeux cernés si noirs et creux qu'on pourrait aisément croire que je suis maquillé pour Halloween. J'ai les joues creuses et les mains qui tremblent sans compter la sueur qui perle sur mes tempes et mon front y faisant coller mes cheveux malgré le froid automnale. J'ai besoin de ma dose, de mon fixe. Je le sais, il n'y a que ça qui me permettra d'aller mieux, mais je tente de combattre l'idée en étant posé là sur notre petit balcon, le regard perdu dans la vague. Je n'ai rien mangé depuis déjà quelques jours et je commence à être maigre à faire peur. Mon téléphone à la main, le pouce au-dessus du numéro de mon dealer, j'hésite.

Tu débarques enfin dans votre appartement. Le corps en fatigue parce que le boulot prends trop de place dans ta vie présentement. Comme quoi les factures ne se paieront pas seule. Café à la main, les cheveux en bataille d'avoir bossé toute la nuit dans ce motel pourri. Tu viens ouvrir la porte de l'appartement avant de déposer tes clefs. « Vinnie ? » Que demandes curieux de voir si tu es seul encore pour prévenir que tu viens de rentrer. Vie d'merde, appartement de merde. Encore heureux que tu n'aies pas perdu espoir un peu plus - que tu te sois adapté à ces gros changements malgré tes douleurs - tes souvenirs.

Je n'entends pas la porte qui s'ouvre à l'intérieur, trop absorbé dans mon dilemme d'appuyer ou non sur ce simple petit bouton qui me mettra en contact avec l'objet de mes désirs. Ta voix me provient étouffée de l'intérieur et je jette soudainement un regard rapide par-dessus mon épaule. Nerveux, je me sens épié, craintif que tu ne découvres ce que je fais et pourtant, ça ne m'empêche pas d'appuyer. Je cale le téléphone entre mon épaule et mon oreille alors que la ligne sonne et que mes doigts allument une clope à l'arrache. Fait mine de rien. Ça sonne, ça sonne et on décroche enfin. C'est Vinnie. Comme si j'avais besoin d'me présenter. Comme d'habitude. J'hôche la tête comme s'il pouvait me voir alors qu'il me confirme le lieu et l'heure. Je raccroche et recrache la fumée que j'ai aspiré trop rapidement.

T’entends sa voix, mais t’arrives pas à trouver l’endroit où il se trouve. Alors tu t’avances dans l’appartement puis le vois finalement à l’extérieur. Son portable sur l’oreille. Ton corps qui débarque sans prévenir. « J’savais pas que t’étais debout .. Je t’aurais pris un café aussi.. » Que tu lâches avant de venir t’asseoir sur la chaise tout près de lui. Tu l’observes. T’as pas besoin de lui préciser, tu sais qu’il a un truc. Son allure. Son état. T’es en colère, tu viens d’capter ce qu’il faisait. Le manque est flagrant.  Tu comprends, mais tu ne comprends pas en même temps. Tout ce que tu vois c’est les effets qui le dévastes. « Tu fais quoi ? C’tais quoi ça ? » Que tu demandes finalement les dents serrées. Tu connais déjà la réponse, pourquoi tu l’as demandé ?

Tu me rejoins sur le balcon pile quand je raccroche et je range mon téléphone rapidement dans ma poche, pas assez cependant pour que tu ne perçoives pas le geste. C'est flagrant que j'ai un truc à cacher et, comme toujours, je ne le cache pas très bien. C'pas grave. Un café, c'aurait peut-être fait du bien, mais j'ai autre chose qui m'attends et qui fera tout autant de bien. Je tire à nouveau nerveusement sur ma cigarette, les doigts et les mains tremblantes. À ta question, je fronce les sourcils. Quoi? De quoi tu parles? Jouer les innocents, c'est ma spécialité maintenant.

« Sérieusement ? Aussi tôt.. Le soleil vient à peine de se lever. » Tu fronces les sourcils et secoues la tête. « En plus  ça t'amuses de te foutre de ma gueule, de me prendre pour un imbécile. » Tu le connais, tu le sais. C'est plus fort que toi, la colère te monte à la tête. Tu le sais que tu devrais l'aider mieux, mais le voir se détruite de cette façon t'rends carrément taré. Impuissant face à sa volonté. C'est ce qu'il connait de mieux, c'est aussi ce qu'il a toujours ou presque connu. Au fond tu n'peux pas lui en vouloir. Il a ses blessures et c'est sa façon à lui d'passer son mal. Tandis que toi .. Tu le passe dans la colère, la frustration de tout et de rien - sur lui.

Je tourne rapidement la tête vers l'horizon en haussant les épaules. J'ai pas dormi, j'avais pas remarqué. Ça au moins c'est la vérité. Mais la logique veut que si t'es là, c'est qu'effectivement, la nuit est terminée. Fuck. J'me fou pas de ta gueule, ça va, relaxe. C'est faux, terriblement faux même, mais j'vais pas te dire que j'viens de raccrocher avec mon dealer et que tout ce que j'aurai pour petit déjeuner c'est ma dose d'héroïne. Pourquoi t'es sur mon cas?

Tu viens de réaliser qu'on est le matin pas vrai Vinnie ? Tu soupires longuement avant de prendre une dernière gorgée de ton café et de poser ton verre presque plein sur la table tout près d'vous. « Tiens ça t'aideras surement à éveiller tes sens .. pour aller faire j'sais pas quoi. » T'es pas con, ni aveugle. T'as vu ses mains trembler, t'as vu la façon dont il a tirer sur sa cigarette. D'ailleurs tu t'en descendrais bien une toi aussi, sauf que ton paquet est resté dans les poches de ta vestes. Tu t'relèves avant de lever les en l'air. «  Parce que t'as vu ta tête.. le manque de sommeil .. le manque de .. puis merde laisse tomber. T'préfères mentir d'toute façon, comme si j'savais rien..  » Que tu ajoutes avant d'entrer dans l'appartement pour aller t'prendre une clope dans ta vestes.

Tu prends une gorgée de ton café avant de le déposer tout près, me le laissant avec toute l'amertume qu'il contient -ou bien c'est celle que tu dégages que je ressens? J'suis peut-être en manque et désespéré, mais j'suis pas pour autant aveugle et complètement déconnecté. Je sais que mes agissements te font du mal et ça m'en fait à moi aussi, mais c'est plus fort que moi, j'peux pas faire autrement. Je te suis des yeux et termine le bâton de cancer que je jette par dessus la rembarde sans m'en soucier d'avantage. Puisque j'te dis que ça va, tu fais chier, arrête! Tu entres à l'intérieur et je soupire bruyamment en secouant la tête. Puis, je regarde l'heure sur mon téléphone et grommelle pour moi-même. Je me lève à ta suite, abandonnant le café à moitié bu pour venir te trouver à l'intérieur. Wes ça va, fait pas cette tête.

T'allumes la cigarette et tires dessus comme si ta vie en dépendait. Ton corps il est tendu puisque tu es maintenant en colère. De le voir comme ça, ça t'rends malade parce que la dernière chose que tu veux c'est de le perdre. « Non ça va pas ! » Que tu chuchotes avant de tirer une seconde fois sur ta clope. Tu passes dans la cuisines, venant fumer au dessus de l'évier - comme si les cendriers dans cette piaule n'existaient plus. « Évidemment.. tout va toujours bien. » Que tu réponds en lui tournant le dos, le cylindre entre tes doigts. Tes mains appuyées contre le comptoir de la cuisine. T'évites son regard.