4 juillet 2017.


Il n’avait rien à faire à la caserne. C’était un jour férié, et bien que la célébration de l’indépendance des États-Unis était chaque année synonyme de débordements en tout genre et d’heures de travail interminables pour les pompiers de la ville, Liam n’avait pas été sélectionné pour être de service. Pourtant, il était le petit nouveau, la logique aurait donc voulu qu’on lui refourgue les basses besognes, les interventions dégoûtantes et qu’on le fasse travailler comme un acharné. Cette décision prise par son supérieur l’avait inquiété. Était-ce le signe que des soupçons quant à ses capacités soient en train de germer dans l’esprit du commandant ? Ce dernier avait-il eu vent du fait que son intégration dans cette caserne n’était pas simplement due à son travail acharné, mais que sa mère avait fait jouer ses relations afin de lui offrir cette chance ? Devait-il se faire du souci pour les résultats des tests de dépistage qu’il avait faits à la fin du mois dernier ? Pourtant, Liam savait que rien ne serait trouvé dans ses analyses, il s’en était assuré en payant grassement l’un des rats de laboratoire en charge du dossier de cette caserne. Il voulait bien admettre avoir à une ou deux reprises cédées à cette envie lui grignotant les entrailles durant le mois qui venait de s’écouler, abusant de morphine trouvée dans le recoin sombre d’une ruelle. Mais si ses addictions n’étaient pas encore de l’histoire ancienne, le jeune homme savait également être totalement apte à pratiquer ce métier qui avait réussi à capter son attention. Sa motivation était démesurée, son besoin de venir en aide aux autres étant tout autant une manière de racheter ses fautes que de purement et simplement se sentir utile. Porter l’uniforme des pompiers de Seattle lui permettait d’avoir un but, une tâche importante à accomplir, cela le remplissait de fierté et ce n’étaient pas quelques erreurs qui allaient le priver de ce bonheur !

Ses pas l’avaient naturellement guidé jusqu’ici. Il avait quitté son appartement en début d’après-midi afin de prendre l’air, d’occuper son esprit et de trouver de quoi l’empêcher de retomber dans ses travers en ce jour de fête. Les sollicitations étaient de partout, dans les moindres recoins. Dès que Liam n’avait rien à faire, il avait cette sensation désagréable qui venait le picorer de l’intérieur. Il pouvait sentir son sang glisser dans ses veines, réchauffant son corps, allant parfois jusqu’à lui donner l’impression que sa peau était en feu, comme si chaque parcelle de son être lui réclamait ne serait-ce qu’une petite dose d’un calmant quelconque. Juste de quoi faire taire cette douleur qui semblait sommeiller en lui pour ressurgir fourbement à l’improviste. Mais aujourd’hui, il n’avait pas l’intention de céder, son planning de la fin de journée ne lui donnait nullement le droit de se montrer aussi faible ! Ce soir, à la nuit tombée, il avait rendez-vous dans un parc. Il allait avoir la chance de pouvoir assister au premier feu d’artifice de sa fille et il était hors de question qu’il rate un tel événement parce qu’il sera trop stone pour tenir debout. Il ne passerait pas un énième 4 juillet avec la tête dans les étoiles, il préférait voir ces dernières briller de mille feux dans les prunelles de son petit ange.

C’était donc avec ce désir, cette nécessité de penser à autre chose que l’attente qui le séparait de cet instant qu’il avait quitté les murs de sa colocation. Sans même s’en rendre compte, il s’était retrouvé face à la caserne au moment où les sirènes retentissaient, le camion rouge et blanc passant à toute vitesse à ses côtés, le gyrophare clignotant pour ne laisser derrière lui que l’odeur de la gomme des pneus usés sur le béton. Il avait pénétré à l’intérieur du bâtiment afin de voir s’il pouvait donner un coup de main en cette journée chargée. Prêt à faire des heures supplémentaires, il pouvait même se contenter de faire le nettoyage des équipements. Tout ce qu’il voulait, c’était tenir ses dix doigts occupés. Arrivée dans la pièce principale, Liam baissa la tête pour regarder ses phalanges tremblantes, signe ô combien visible qu’une crise de manque pointait le bout de son nez. « Eh merde ! », scrutant autour de lui en murmurant, il fut soulagé de ne voir personne tandis qu’il se mettait à la recherche d’une pièce où il ne serait pas dérangé en attendant que ce fichu mauvais moment passe. Obnubilé par les picotements qu’il sentait dans l’intégralité de son corps, il s’était réfugié dans un bureau vide, ne se préoccupant pas de voir un ordinateur allumé alors qu’il prenait place assis à même le sol en prenant son visage entre ses mains, ses coudes reposant sur ses genoux pour se concentrer sur sa respiration, reprenant à la lettre les instructions qu’on lui avait données lors de son passage en maison de désintoxe quelques mois plus tôt.

« Qu’est-ce que… Non, non, non, ne fermez pas la porte ! », sa voix était faible quand il énonça dans un souffle cette demande en relevant le regard en direction du bruit qu’il venait d’entendre alors qu’il n’avait pas remarqué l’entrée de quelqu’un dans la salle. Lors de son premier jour de boulot, on lui avait spécifié de ne jamais refermer derrière lui l’accès à cette pièce, la serrure étant cassée depuis de nombreuses semaines. Il se releva difficilement, se tenant au mur, sa tête tournant comme s’il se trouvait dans un manège à sensation forte, afin de se trouver en face d’un visage inconnu.