Bruno vient de tirer à la carabine et il a gagné un très gros ours en peluche. Il m'a proposé de le partager comme on a tiré à deux... mais j'avais déjà ma pomme d'amour dans la main donc je lui ai dit pour l'instant garde-le.
Comment tu vas l'appeler ? j'ai fait.
Pascal, il a dit.
Pascal est de couleur crème, beige, spéculoos.
Il est plutôt gros, très rembourré, des yeux cousus et noirs. Il n'a pas de bouche, alors Pascal ne peut pas manger.
Je suis très content d'être à la fête foraine, parce qu'il y a plein d'attractions à faire, des gens heureux et de la nourriture partout. Les chaises volantes c'est un de mes manèges préférés, Bruno il préfère les trucs à sensations très très fortes, et je le comprends mais avec une pomme d'amour ce n'est pas pratique.
De ma main libre, je tiens celle de Bruno.
On n'est pas en couple mais je me sens bien quand je suis avec lui, c'est presque instinctif. Et lui aussi, il aime bien qu'on se prenne la main. Je lui passe un bout de ma pomme d'amour, il mord dedans et mâche, bienheureux, du sucre sur les lèvres. Il est beau Bruno.

-- Hé Bruno ! Tu veux qu'on aille dans la grande roue ?

Je la pointe du doigt, elle n'est pas bien grande, mais il y a un peu de file d'attente. Normal, c'est trop bien la grande roue. C'est l'attraction des romantiques !!
J'ai toujours préféré les activités en groupe et en duo, tout seul c'est pas marrant, c'est pour ça que les chaises, c'est l'exception, mon péché mignon. J'aime bien les défilés de gens déguisés aussi, même si les clowns me fichent toujours la trouille. Ils ont un sourire trop aiguisé, trop ouvert pour que ce ne soit pas une plaie.
Bruno est parti chercher une poubelle pour jeter nos déchets pendant que je fais la file. Il m'a confié Pascal, que j'arrive mieux à tenir maintenant que ma gourmandise est bien entamée.
J'attends. Et curieusement, la file se réduit à toute vitesse, les cabines défilant rapidement au pied de la roue. Mince, si Bruno n'est pas vite de retour, on va manquer notre tour !

-- Alors jeune homme, j'vous mets ensemble ?

Le monsieur de l'attraction m'attrape l'épaule pour me diriger vers la nacelle libre mais il place avec moi quelqu'un d'autre qui n'est pas Bruno.
Non, attendez !... Pas le temps. La porte est refermée sur moi et Pascal. Et cette autre personne.
La roue se remet en mouvement. La cabine tremble, les bruits de ferraille vieux et âgés retentissent autour de moi. Tout à coup, la tristesse s'empare de mon être en apercevant Bruno arriver trop tard.
Il devient de plus en plus petit à mesure que je m'élève.
Les mains plaquées sur la vitre, je l'appelle.

-- Non, Bruno...!

Il me fait des grands signes de la main pour me dire qu'il est là. Et je sais qu'il est là mon Bruno... Mais je n'ai pas d'ailes, je ne sais pas voler pour aller le chercher.
Tant pis.
Je me positionne correctement sur ma place, Pascal sur les genoux, ma pomme d'amour dans la main gauche.
Mes yeux dérivent sur le côté, où se trouve mon nouveau compagnon de voyage. Je ne sais pas qui c'est mais je lui tends ma sucette.

-- Tu veux croquer ?

Elle me regarde avec un air ahuri, comme si je venais de Mars. On me le dit souvent, donc c'est peut-être vrai. Je ne sais pas si elle veut croquer, mais moi je le fais. Crounch crounch crounch !

-- Hein ? Je ne sais pas si je suis le seul Rafael de Youtube, mais oui j'ai une chaîne ! Pourquoi, tu me connais ?

Slurp slurp, je lèche le sucre. La nacelle gesticule un peu, ça y est ! L'attraction vient de démarrer ! On s'élève !

-- Ouah, j'adore les grandes roues... Tout en haut je vais pouvoir rejoindre la lune. Tu m'accompagnes ? C'est tout petit et étroit ici hein ?

Hihihi. Je décèle un fort potentiel de scène osée. Je regarde la fille tout en continuant de laper ma friandise. Si jamais elle veut lécher ma sucette, elle n'aura qu'à le demander !