Juillet 2017

Une soirée chez un vieux pote du lycée. En temps normal, Liam aurait levé les yeux au ciel en recevant cette invitation. La plupart de ses anciennes connaissances étant restées bloquées sur celui qu’il avait pu être avant sa maladie et peu d’entre eux s’étaient donné la peine de réellement le soutenir durant cette période délicate. Il était sans doute plus simple de continuer à voir en lui l’élève populaire, le joueur de basket de l’équipe scolaire, le boute-en-train réussissant malgré ses vannes pourries à récolter des notes correctes que le gamin en piteux états qu'il était devenu. Le digne enfant de ses parents, propre sur lui, fier, PAR-FAIT. Beaucoup de ceux qu’il avait appelés "amis" à l’époque avaient déserté le navire à l’instant même où le lycéen avait reçu les résultats de ses examens. Car s’il avait réussi à décrocher son diplôme de fin d’étude, Liam s’était parfaitement rétamé quelque temps plus tôt lors d’une évaluation physique faite à l’hôpital… Bref. Ce n’était pas le sujet ! Les sollicitations qu’il avait l’habitude de recevoir exigeaient de devoir porter une tenue correcte, d’arriver à l’heure, de venir au volant d’un joli bolide et si possible accompagné d’une donzelle tape-à-l’œil ; à moins que ce ne soit l’inverse, le bolide devant être tape-à-l’œil et la demoiselle jolie ? Liam avait toujours trouvé ces idées préconçues inutiles, insupportables et totalement dégradantes, autant pour la gent féminine que pour l’industrie automobile. Le fait est que généralement, soit il déclinait l’invitation, soit il ne répondait simplement pas, faisant semblant qu’elle se soit perdue en route, soit il s’ennuyait ferme tout du long de l’événement. Il lui était tout de même arrivé de s’y amuser, mais dans ces cas bien trop rares, il fallait avouer que c’était principalement dû au fait qu’il ne finissait pas la soirée avec les idées très claires, mais systématiquement en bonne compagnie !

Cette fois, il avait dit oui. Un bon et gros oui enthousiaste, retentissant. Un peu plus, et il aurait payé un pilote pour lui faire écrire dans le ciel de Seattle un "oui" en fumée ! L’invitation n’avait pas été envoyée par n’importe qui. C’était Franck. Et Franck, c’était le roi de la fumette, le pro des soirées déjantées, l’expert de la rigolade. L’héritier en chef de l’homme le plus sérieux de la ville, et pourtant l’un des camarades le plus déluré et le plus dingue qu’il connaissait. Celui capable d’organiser une orgie pharaonique au sein même de l’appartement familial alors qu’en parallèle, il offrait un doux week-end en amoureux à ses parents afin de les faire déguerpir sans qu’ils n’aient aucun soupçon sur la supercherie. En gros, c’était la soirée à ne surtout pas manquer ! Liam avait hâte, il trépignait d’impatience alors que son cerveau commençait déjà à extrapoler sur ce qui pourrait se passer ce soir-là… Tout était possible ! Ça se terminerait à coup sûr en apothéose alors que la soirée serait une succession d'amusement, de perte de contrôle, de rire et de planage en bonne et due forme.

Lorsque le grand jour était arrivé, le brun avait reçu un sms pour lui préciser le lieu de la réception. La fin du message lui spécifiant de ne pas oublier de prendre son maillot de bain l’avait fait sourire, et il était ravi de constater que le rendez-vous était donné à 20h, sur le port de la Marina. Une sortie en mer ? Ça promettait d’être intéressant ! À l’heure dite, il s’était présenté au port de plaisance, observant les bateaux de toutes tailles. Il n’eut pas besoin de se demander très longtemps lequel allait accueillir la fête, et Liam se laissa guider par la musique entraînante sortant des baffles ainsi que par les rires qui lui parvenaient. Le yacht devant lequel il se tenait était énorme, le bâtiment maritime puait le fric, le luxe et scintillait de mille feux, projetant même des faisceaux lumineux en direction des étoiles par moments. C’était la parfaite représentation que ce que la vie de Liam aurait pu être s’il n’avait pas effectué un virage à trois cent soixante degrés en se mettant ses parents à dos avec ses décisions qu’ils jugeaient absolument inconséquentes. Mais en y réfléchissant, il préférait nettement être libre de ses mouvements que d’avoir les poches pleines de billets verts.

« C’est qu’il n’a pas fait les choses à moitié le petit Franck! », Liam s’était exclamé en franchissant la passerelle le menant directement à bord de l’embarcation. Son invitation avait été vérifiée par une jolie demoiselle fort peu vêtue à qui il dédia un haussement de sourcils approbateur et un sourire mutin avant de se diriger vers le cœur des festivités. Scrutant les lieux, son regard se posait régulièrement sur des visages qu’il reconnaissait. Certains lui filaient mal au crâne rien qu’à les voir, quant à d’autres, il se promit d’aller les saluer lorsqu’il aurait fini son petit tour d’horizon. Sur le pont supérieur, à l’arrière du bateau, se trouvait une bande de jeunes gens barbotant dans les bulles d’un jacuzzi, et alors que Liam se rapprocha, il distingua un visage qui lui était familier, mais sur lequel il avait bien du mal à mettre un nom.

« Le paysage te plaît ? », se positionnant à côté du jeune homme en question, il ne quittait pas des yeux ceux qui avaient déjà entamé la soirée de façon festive. Il profita qu’un serveur passe à proximité pour attraper une coupe de champagne avant de pivoter en direction du presque inconnu tout en trempant ses lèvres dans le spiritueux pétillant, « On ne se serait pas déjà croisé quelque part ? ». Le scrutant de haut en bas sans aucune discrétion, Liam voulait mettre le doigt sur qui il était ! Peut-être avait-il déjà aperçu le garçon lors d'une soirée festive, mais beaucoup trop de ses souvenirs étaient embués pour pouvoir réussir à s'en rappeler parfaitement.

Son attention fût quelque peu accaparée par le fourmillement d'âmes à proximité. Il n’y avait bien qu’à ce genre de fête que se côtoyaient boissons hors de prix, cachets euphorisants, herbes hallucinogènes, robes de grands créateurs et… topless. À croire que Liam avait loupé le début de la soirée, du moins, c’est la réflexion qu’il se fit en voyant une invitée se balader à demie nue alors qu’ils n’avaient pas encore quitté l’amarrage, mais il se reconcentra rapidement sur son interlocuteur, un sourire en coin l'accompagnant dans l'attente de l'éclaircissement sur leur précédente rencontre.

Juillet 2017

Seattle. C'est pas trop mal comme ville. Ça fait pas très longtemps que t'es arrivé mais pour l'instant ça te plait bien. Même si honnêtement, n'importe quelle autre ville que Los Angeles t'aurait plu. T'en pouvais plus de ce culte de l'image, de cette conquête de la célébrité, de tous ces pauvres gens qui quittent leur ville paumée au fin fond des Etats Unis pour rejoindre Hollywood, persuadés que leur talent sera suffisant à leur garantir une belle carrière dans le show business. Seattle, c'est plus calme. Dans ce domaine là au moins. Les gens connus ici, ce sont des chefs d'entreprise, des journalistes, ou des gens qui ont fait un truc super une fois qui a attisé l'admiration de leurs concitoyens, comme ce type que t'as vu dans les news y'a quelques jours, qui a grimpé la façade d'un petit immeuble pour sauver son chat. Ces gens là, ils méritent leur petit moment de gloire. Les gens comme ton père... clairement pas.

Quel bonheur d'être loin de cette enflure d'ailleurs ! Tu t'es jamais senti aussi apaisé, aussi calme, aussi libre ! T'es enfin maître de ta propre personne, partiellement au moins ! T'as un peu du mal avec la fac. T'as jamais été particulièrement studieux, mais le journalisme ça te plait bien. Par contre t'as du mal à gérer ton emploi du temps, vu que t'es occupé à profiter de la vie, pour une fois ! Les commentaires de tes profs sur tes essais d'articles te frustrent un peu parfois aussi. "T'es biaisé.", "Tu dois être plus objectif.", "Les lecteurs se fichent de ton opinion, tout ce qui importe c'est les faits." C'est pas que ça blesse ton ego, mais c'est pas super fun de te concentrer simplement sur les faits. Mais bon, c'est le début, tu te dis que ça ira mieux d'ici quelques mois, une fois que tu te seras fait une petite place.

Une place dans le monde du journalisme en tout cas, puisque dans ta promo, t'es bizarrement plutôt populaire. Tu fais marrer tes camarades apparemment, et t'es fun en soirée, d'après ce que les gens disent. C'est peut être pour ça que Franck t'as invité à sa fête ce soir, d'ailleurs ! Tu le connais pas très bien, mais apparemment vous avez partagé un joint ou un bong y'a deux semaines. T'as pas eu la coeur de lui dire que tu t'en souviens pas, t'as juste accepté l'invitation avec plaisir. Si vous avez partagé de la weed ensemble, il doit être cool.

Du coup quand tu t'es levé ce matin, vers 17 heures, t'as pris une douche vite fait, tu t'es sappé, plutôt sobrement pour une fois, et tu t'es dirigé vers la destination notée sur l'invitation. Tu comprenais pas pourquoi le type t'avais pas juste envoyé l'adresse par sms au lieux de se casser le cul avec des invitations papier, avant d'arriver sur le port. Un énorme yatch, déjà bien peuplé. C'est pas trop ton délire, plus celui de tes parents, les soirées comme ça, mais t'as pas d'autres plans ce soir donc autant rentrer et voir si ça te plait. Tu files l'invitation, toute chiffonnée vu que tu pensais pas que t'allais devoir l'utiliser, à la fille à l'entrée, puis te dirige directement sur le pont, espérant croiser au moins une personne que tu reconnais. T'as pas des masses de potes encore, mais tu connais au moins les fêtards du coin.

Finalement, tu te diriges directement vers le bar où t'enfiles plusieurs shots d'un coup, espérant que ça te mette dans le mood d'aller parler à des inconnus. Tu commences rapidement à sentir les effets de l'alcool, mais avec tes années d'expérience, tu sais qu'il t'en faut plus pour te mettre dans un état secondaire. Et puisque tu ne reconnais personne, même pas le fameux Franck, tu décides de te poser à l'étage et de te rouler un joint.

T'es concentré sur ton oeuvre quand un type s'assoit à côté de toi et commence à discuter. Il te faut une fraction de seconde pour réaliser que c'est à toi qu'il s'adresse, après quoi tu portes ton attention sur lui. Il semble croire que vous vous connaissez, et même si tu te considères "sobre", t'es quand même en rémission de ta soirée de la veille, du coup tu le reconnais pas tout de suite. T'examines ses traits, avant que, quelques secondes plus tard, ça fasse un tilt dans ton esprit. C'est bien lui, plus vieux, le visage plus fatigué, mais tout de même lui.

"Keller !" Tu t'exclames avec un énorme sourire. Difficile de l'oublier ! Ce type et toi vous vous êtes croisés plusieurs fois dans ces espèces de dîners mondains, tous les deux traînés là-bas par vos parents, et malgré la petite différence d'âge, votre philosophie de vie et vos expériences sont plutôt similaires, du coup vous vous êtes tout de suite bien entendus. T'as entendu dire que niveau santé c'était pas la joie, du coup d'exhaltes d'excitation de le voir ici !

Tu le prends dans tes bras, et te met à sautiller comme un enfant. C'est la joie de finalement ne pas être seul à cette soirée "hype" mais aussi la joie de retrouver un vieil ami qui parle ! Tu savais qu'il habitait de l'autre côté du pays, mais t'as jamais été assez sobre pour te souvenir de quelle ville exactement.

"Finn... Hawkes !" Tu donnes généralement pas ton nom de famille quand tu te présentes. T'as pas envie de perdre ton temps avec des gens qui idolâtrent ton paternel. Mais dans cette situation c'est différent, comme un vétéran qui annonce que c'est au Vietnam qu'il a survécu. Toi c'est au père Hawkes. Et lui aux parents Keller...

La soirée promettait d’être sympa, bien que Liam fût prêt à parier qu’il n’en aurait pas de grands souvenirs en se levant le lendemain matin. Ou le lendemain après-midi. Peut-être même le soir en fonction de comment les heures qui allaient suivre se dérouleraient. Lorsqu’il était arrivé sur le ponton et qu’il avait observé le yacht, remarquant le monde qui grouillait sur les différents ponts du bâtiment, il s’était mis à espérer réussir à se noyer dans la masse. Avec un peu de chance, peu, s’il était optimiste aucun, de ses anciens camarades de lycée n’avait été convié à la fête. Si c’était le cas, alors il y avait fort à parier pour que ses parents n’aient jamais vent de l’état second dans lequel il comptait se mettre d’ici quelque temps. Bien que le brun se soit fait à l’idée d’être une perpétuelle déception pour ses géniteurs, il préférait tout de même éviter les systématiques remontrances et leçons sur la vie qu’il pouvait recevoir à la suite d’une de ses sorties remontant à leurs oreilles. Sans doute que s’il l’avait pu, son père l’aurait enfermé à double tour dans sa chambre, surveillant que le jeune homme ne fasse pas le mur pour aller retrouver ses meilleurs amis, opiacés en tout genre et fumette salvatrice. Manque de bol, ce n’était plus un gamin, et Liam avait quitté la demeure familiale rapidement après sa rémission, enthousiaste à l’idée d’avoir, enfin, la vie devant lui et un avenir qui, finalement, n’était pas tracé. Que ce soit par l’échéance d’un rendez-vous à l’hôpital pouvant lui annoncer une fin prématurée pour son jeune âge, ou par les ambitions trop grandes de son paternel. Désormais, il était libre. Libre d'être lui-même. Libre de faire ce que bon lui semblait. Libre de vivre ses propres expériences, bonnes ou mauvaises. Libre de vivre les aventures qu'il voulait, avec qui il voulait, où il le voulait, au moment où il le voulait. Plus rien ni personne ne pouvait l'en empêcher. Il n'y avait plus de barrière, plus de malaise, plus de tête dans la cuvette... Enfin, si. Ça, ça arrivait encore, mais plus pour cause de chimio trop puissante. Ses hauts le cœur n'étaient plus prescrits, Liam ne les devait qu'à ses choix, ses amusements !

Il avait rapidement balayé la crainte de croiser une connaissance, préférant nettement se concentrer sur ce qui lui procurait du plaisir en partant à la découverte du lieu. Franck avait une nouvelle fois fait des merveilles au niveau de l’organisation. Il y avait à disposition, tout ce dont on pouvait rêver. Et même de vieux amis, presque oublié tant cela faisait longtemps, « Finn !! ». Les souvenirs étaient remontés facilement à son cerveau. Comme quoi il n’était pas si embrouillé que cela ! Un sourire était venu fleurir sur ses lèvres en voyant la réaction du jeune homme avec qui Liam avait déjà partagé des soirées. Ces dernières n’avaient absolument rien à voir avec celle qui se profilait, et chacun d’eux savait à quel point cet acolyte retrouvé pouvait être le miroir de l’autre. Leurs histoires étaient étrangement similaires, à quelques détails près évidemment, mais ils avaient une croix identique à porter, un fardeau familial se ressemblant étrangement et une envie, un besoin d’émancipation équivalent. Adieu costards taillés sur-mesure, petits-fours ennuyeux et sourires forcés et bienvenus aux tenus simples, aux chips et aux regards légèrement vitreux ! Quoique… Le serveur habillé comme un pingouin passant à ses côtés fit rire Liam tandis qu’il attrapait deux coupes de champagne sur le plateau tendu, « Rassure-moi, tu dis encore oui aux bulles ?! Mais qu’est-ce que tu fabriques ici, mon pote ? ». Il lui confia l’un des verres alors qu’il but d’une traite le sien, comme si cela allait étancher sa soif. « Hey toi ! Reviens par ici deux petites secondes. », il venait de faire signe au porteur de boisson et lorsque celui-ci arriva à sa hauteur, il lui prit le plateau des mains, « Laisse donc ça par ici. ». Liam venait de se lever pour lui murmurer à l’oreille, « Si tu nous trouves un truc plus fort, je m’arrange pour que tu puisses profiter de la soirée avec nous. ». Un clin d’œil plus tard, et il reposa ses yeux sur Finn, Fin Hawkes, il n’en revenait toujours pas ! « Bon dieu, mais ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vu ? Une éternité, je dirais ! Tu deviens quoi ? », assister à des retrouvailles fortuites était toujours agréable, et cette petite virée en bateau ne s’annonçait plus simplement sympathique, mais totalement géniale !